J'ai bu des coups avec J.B Amann

Songs (2013 - 2018) - autoprod // Par Lætitia Lacourt

Vous connaissez sûrement ce sentiment, cette impression qu’un album est devenu la bande-originale d’une période de votre vie. Vous l’avez tellement écouté que vous en connaissez l’ordre d’arrivée par cœur, et même la première note de chaque piste, instinctivement. Vous l’avez aimé cet album parce qu’il a accompagné, malgré lui, son lot d’émotions et de vicissitudes à un moment T. Qu’il a exacerbé vos émotions, en a généré et suscité d’autres. Qu’il a été salvateur ou vous a fait sentir plus vivant que d’habitude, vous a fait penser différemment, a provoqué ou a accompagné des changements. La force d’un tel album ? Lorsque vous l’écouterez dans 10, 20 ou 30 ans, il sera une vraie madeleine de Proust, qui viendra gratouiller la petite corde sensible de la nostalgie...

C’est ce qui m’est arrivé avec celui de J.B Amann, Songs (2013 - 2018). Tout est parti d’un mail reçu le 4 mai à 16h01 dans lequel il disait que Casbah serait peut-être intéressé d'écouter l'album qu’il venait de finir. J’ai flanché à la première écoute. J’ai flanché sur ces 15 titres folk, 15 titres introspectifs, 15 chansons personnelles dont les mélodies belles à crever sont à la fois nostalgiques, douces, tristes, mélancoliques. J’ai flanché sur le deuxième album aussi, encore au stade de démos sous le nom de Faites vos jeux, mesdames !, dispo sur bandcamp depuis le 13 juin : 16 titres de plus dont je me gave inlassablement comme un gosse à qui on vient de filer un paquet Haribo.

Un timbre de voix singulier, un style musical qui me fait parfois penser à Bowie, des chansons souvent courtes, voire minimalistes, mais si minimalistes qu’elles en deviennent extrêmement puissantes : mais qui est donc J.B Amann ?

Je me souviens que c’était un dimanche soir.

Je me souviens avoir flashé sur sa chemise à fleurs en arrivant au Rush Bar.

Je me souviens avoir pensé que cette rubrique « J’ai bu des coups avec » est toujours un poil gênante la première demi heure.

Je me souviens qu’il m’ait avoué s’être demandé toute la journée ce qu’il allait bien pouvoir me raconter et quelles questions j’allais poser.

Je me souviens que la seule chose qui lui importait, ce n’était pas forcément de raconter sa vie mais mon point de vue.

Je me souviens qu’avant de boire des coups avec lui, je buvais des coups avec Jaromil Sabor et que devant mon désarroi d’arriver un peu éméchée, il m’ait dit en rigolant : « t’inquiètes pas il sera dans le même état que toi. »

Je me souviens qu’au bout d’une heure, il m’ait donné l’impression d’être quelqu’un d’un peu torturé.

Je me souviens avoir pris le risque de ne rien noter et de ne me souvenir que d’un quart des choses.

Je me souviens que l’on ait vu une limousine rose bonbon passer et qu’il m’ait dit que je me souviendrai forcément de ça.

Je me souviens que l’on ait reparlé de son album, quasiment titre par titre. 

Je me souviens qu’il aime bien les nouvelles (Blue, The Near-Death of good things, Sunflower seeds) mais qu’il n’en peut plus de chanter Kristmas Kas Soc.
C’est évidemment ma préférée.
 

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J.B. Amann - The Near-death of good things, by Laetitia

Je me souviens lui avoir demandé pourquoi il n’avait pas démarché de labels pour sortir son disque : ses chansons étaient prêtes, il avait besoin de les sortir et de s’en débarrasser.
J’aurai adoré sortir un album comme celui-là.

Je me souviens avoir pensé qu’il parlait beaucoup de son bled Saint Avold, de ses origines, des sentiments que l’on éprouve quand on revient dans la ville où l’on a grandit. Que ça rappelle la façon dont on s’est construit. Que ça engendre toujours de nombreuses émotions. Que le nom de son groupe porte le nom de son bled, que la chanson « Crusem » fait référence à l’ancien Maire de son bled.

Je me souviens avoir été un peu déçue qu’un type originaire de l’Est ne parle pas allemand.

Je me souviens qu’il est comme la moitié de la population : il a un problème avec Noël.

Je me souviens qu’il aime les chansons tristes parce que ce sont les plus belles. Les chansons joyeuses sont chiantes.

Je me souviens qu’il ait beaucoup de mal à s’assumer sur scène mais ça va mieux.

Je me souviens qu’il m’ait dit être un autodidacte. Qu’il fait tous les instruments, qu’il enregistre seul chez lui, en mode bricoleur.

Je me souviens que l’on ait parlé du nouveau groupe de Nick Wheeldon (Os Noctambulos), The Necessary Separations dans lequel il est bassiste. Et que je suis déjà dingue de ce titre, « Zombie Town ».
 

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The Necessary Separations - Zombie town, by Laetitia

Je me souviens qu’il ait du mal à parler de lui. De sa musique. Et que les gens qui ont du mal à parler d’eux font parler les autres.
J’ai probablement raconté ma vie.

Je me souviens qu’il carburait à la pinte et moi au demi.

 Je me souviens de sa passion pour le foot : il regarde des vieux matchs, joue à ISS, s’est lancé dans la musique alors qu’une grande carrière de footballeur l’attendait.

Je me souviens qu’il m’ait longuement expliqué ce qu’était ISS avec un sourire amusé.

Je me souviens que l’on ait parlé des footballeurs chanteurs. Chris Waddle, Basile Boli et Jean-Pierre François.

Je me souviens que l’on ait parlé de nos âges respectifs au moment de la coupe du monde 98 et qu’il s’est esclaffé : « ah, on ne devait pas faire les mêmes choses hein ».
Non, c’est sûr.

Je me souviens qu’il est parti pisser et qu’un mec dans la rue lui a demandé un renseignement. Le type a répondu « merci Jim Morrison ».
Ca m’a fait sourire.

Je me souviens m’être dit que c’était un type très humain, qui est extrêmement attentif et réceptif aux gens qui l’entourent ou qui l’accostent.

Je me souviens que l’on ait parlé de cinéma, de son master de cinéma. Et de son boulot qui n’a rien à voir avec son master de cinéma.

Je me souviens de son film préféré : Jurassic Park. Et que je ne pourrai plus regarder un dinosaure sans penser à J.B Amann. Dans un autre registre, il a aussi cité Le Cercle Rouge.

Je me souviens qu’il m’ait demandé mes films favoris. Que je suis incapable de répondre à ce genre de questions mais que j’ai fini par répondre honteusement Dirty Dancing. Puis, plus sérieusement, Alabama Monroe.

Je me souviens que l’on ait parlé de scènes de cinéma, et de ce fantasme qu’avec le 7ème art, tout soit possible. De ce fantasme qu’une situation, qu’une vie puisse se dérouler comme dans un film.

Je me souviens que quand on le met devant certaines réalités, il vous les renvoie en pleine gueule.

Je me souviens qu’il a un problème avec le temps qui passe, l'âge, et que devant mon étonnement, il m’ait répondu « toi aussi tu en as un » !

Je me souviens que les bières s’enchaînaient.

Je me souviens de Sagittarius, de Curt Boettcher, de Bowie, et de sa difficulté à me citer des références précises quand je lui ai demandé ses influences.
 

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Sagittarius - My World Fell Down, by Laetitia

Je me souviens que le bar allait fermer et que nous sommes partis au Pop in.

Je me souviens que l’on ait reparlé d’un bar à l’autre du film Le Lauréat avec Dustin Hoffman. De Simon & Garfunkel. De la puissance qu’avait « The Sound of Silence » dans ce film. Et de cette scène de fin dans le bus. De leurs sourires. De leurs regards.
 

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Unforgettable - The Graduate (Final Scene, 1967) Eng HD, by Laetitia

 Je ne me souviens pas exactement du nombre de bières bues mais sans doute trop.

Je me suis surtout souvenue que j’avais un train à prendre à 6h du mat et qu’il était peut être temps de rentrer.