L'opéra de MENDELSON [LIVE]

Opéra de Lyon - 11 mars 2022
          Trois mois à peine après avoir croisé la route de MENDELSON à la Chapelle du Conservatoire de Rennes, notre envoyé spécial est reparti présenter ses respects au groupe démissionnaire de Pascal BOUAZIZ. Histoire de boucler la boucle de la plus classe des manières, le concert lyonnais du 11 mars dernier a eu lieu à l'Opéra de Lyon. En sous-sol, certes, mais à l'opéra quand même !

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C o n c e r t   m a g n i f i q u e

Pascal BOUAZIZ déboule sur la scène d'un Opéra Underground au décor plutôt cossu, accompagné par son groupe, sans crier gare. Tant pis donc pour cette première partie qu'il devait assurer en solitaire et qui n'aura finalement jamais lieu. Visiblement peu perturbé à l'idée de jouer à l'Opéra de Lyon, les cinq MENDELSON entament une introduction bruitiste, qui n'est autre que le morceau d'ouverture de Le dernier album. L'occasion pour BOUAZIZ de nous promettre « un concert magnifique ».

À peine digérés ces premiers assauts que les infra-basses malades de La force quotidienne du mal déboulent. Contrairement au concert rennais, le son est beaucoup plus clair et précis. À tel point qu'on découvre tout l'arsenal percussif de Sylvain JOASSON, cymbales en tête, pendant que son compère Jean-Michel PIRES se fait plus martial. Limpides, les guitares tentent de se débattre au milieu de ces sons post-apocalyptiques. En livrant ses textes glaçants sans forcer, BOUAZIZ mène son groupe jusqu'à une première explosion portée par le duo de batteurs. Second enseignement sur le son : ce qu'on gagnera en clarté sera perdu en décibels. Tant pis si MENDELSON paraîtra alors moins puissant qu'il y a trois mois : on ne boude pas notre plaisir, confortablement assis dans des chaises disposées en arc de cercle autour de la « scène ». MENDELSON a beau jouer à même le sol, le point de vue est imprenable.

La seconde partie du morceau, beaucoup plus apaisée, est magnifiée par les guitares d'un Pierre-Yves LOUIS aussi inventif avec ses arpèges en son clair que quand il envoie la sauce. Pendant ce temps, Pascal BOUAZIZ rajoute en douce l'Ukraine dans la liste des pays où « les coups pleuvent ». La totale dichotomie entre les textes et la musique permet de faire passer une des pilules les plus délicieusement amères de la discographie du groupe : « La force des hommes ignorant la lecture, la force des hommes ignorant le doute, la force des hommes pratiquant la torture, la force des hommes supportant le foot ».
 
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mendelson_opera2.jpg, by Bingo
 
K O   e n   t r o i s   r o u n d s

Pas venu pour nous faire une rétrospective mettant en lumière toute sa discographie, le groupe semble motivé à vivre ses derniers instants dans le présent : on aura donc droit à l'intégralité de Le dernier album ce soir, tout comme à Rennes. C'est justement Algérie qui enchaîne. Lent et hypnotique, ce mastodonte nous transporte de l'opéra au cinéma (la salle s'y prête d'ailleurs très bien) : happés par la scansion posée de BOUAZIZ, les images très évocatrices, parfois dures, défilent devant nos yeux. Toute notion de temps s'évapore jusqu'à ce que l'orage s'annonce, sa lourde menace finissant par exploser dans un déluge que Pascal BOUAZIZ parvient cette fois-ci à dominer. Transfiguré, le leader de MENDELSON explose et éructe presque, répétant certains passages clés plus que de raison : « Tant de morts », « Je ne voulais pas parler de ça ». L'apex est atteint quand BOUAZIZ évoque son voyage en famille à Oran, terre de ses ancêtres. On se demande encore - vu l'intensité dégagée par le morceau - comment celui-ci a pu finir par faiblir jusqu'à un fade-out qui fera difficilement passer l'orage. L'ambiance pesante demeure encore quelques interminables secondes après la conclusion. On est déjà complètement lessivé, seulement après trois morceaux, répartis sur trois quart-d'heure (!).

Le groupe l'avait déjà annoncé avec MENDELSON, ce concert le confirme : le refus de la compromission est désormais total, mais surtout frontal. C'est dans ce contexte pesant que Les chanteurs vient mettre une pause bienvenue en plein milieu de cette rage (à peine) contenue. Le moment respiration ne s'éternise pas, et le groupe se lance alors dans un Ville nouvelle anxiogène qui dépassera lui aussi les dix minutes. Encore plus radical que ses prédécesseurs, le morceau confronte le public à des cassures rythmiques pour encore mieux jouer avec ses nerfs, le tout dans une ambiance tendue au couteau, quasi stressante.

Présenté par BOUAZIZ comme le moteur du groupe, le nouveau venu Stéphane PIGNEUL (des magnifiques OISEAUX-TEMPETE) prouve avec ses guitares (dont une très belle baryton) qu'il s'agissait bien d'une observation incontestable, plus que d'un simple compliment poli. Faisant la jonction (plus évidente qu'il n'y paraît au premier abord) entre son groupe et MENDELSON, Stéphane PIGNOL parvient à insuffler un vent nouveau au groupe moribond (au sens littéral du terme.) La politique de la terre brûlée est ici appliquée à plein régime, et c'est presque avec soulagement qu'on décèle le début d'Héritage, enchainé au maelström final de Ville nouvelle. Ça martèle une nouvelle fois très sèchement, mais ce coup-ci dans une veine plus en ligne droite. Ce qui n'empêchera pas le morceau de s'étirer sur sept minutes, mine de rien.
 
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mendelson_opera3.jpg, by Bingo
 
N o s t a l g i e   a u   s c a l p e l

Conscient d'imposer à son auditoire une musique sombre et très exigeante, MENDELSON nous offre une nouvelle période de répit. Pascal BOUAZIZ s'amuse avec le public de ses anciennes prestations lyonnaises, du Pezner au Sirius, sans oublier le concert de BRUIT NOIR au Marché Gare. Fin observateur, le leader de MENDELSON ne manque pas de noter que la salle « est presque pleine. » On repassera donc pour les fameux « vingt cinq personnes » des concerts. Mais après tout, comme il le fait très justement remarquer, « il y a toujours plus de monde aux enterrements qu'en visite dans les EHPAD ». En pleine verve, BOUAZIZ enchaîne les blagues avec son éternel air de ne pas y toucher.

La bonne humeur du public va pouvoir se poursuivre, car celui-ci annonce alors 1983 (Barbara), soit le morceau favori des fans. Presque à part dans la setlist du soir, tant il suit une voie musicale apaisée et sans embardées renversantes, le morceau nous transporte dans les souvenirs d'enfance de BOUAZIZ. Et accessoirement les nôtres, tant chacun parviendra facilement à relier la chanson avec ses propres expériences de cette période pré-adolescente. Sans jouer sur le même registre qu'Algérie, Barbara nous met pourtant dans tous nos états, à mi-chemin entre le sourire nostalgique et la crise lacrymale. Puisque le groupe va bientôt disparaître, autant en remettre une (dernière ? ) couche : non, Pascal BOUAZIZ n'a jamais eu de concurrence crédible quand il s'agissait d'écrire des chansons fleuves douces-amères, qui auraient haut la main leur place au panthéon de la chanson française, si celle-ci ne nous avait pas déversé autant d'immondices entre les oreilles.

On pourrait croire que le suivant Scanner allait finir par avoir raison des envies noisy du groupe. Mais c'est là bien mal juger MENDELSON. Le parfait morceau d'introduction de Personne ne le fera pour nous servira de prétexte à un long jam électrique hésitant entre saillies viriles et posture ambient, perdu quelque part entre Neil YOUNG & CRAZY HORSE et SONIC YOUTH. Les approximations côtoient les moments de grâce pure, bref c'est un groupe encore foutrement vivant qu'on à face à nous. « J'aimerais voir dans ta tête, comme on voit au scanner sur une table de médecine » : ne tiendrait-on pas là le fantasme absolu de tout fan de MENDELSON ?
 
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mendelson_opera4.jpg, by Bingo
 
P o i n t   f i n a l ,   à   l a   l i g n e

Si le morceau avait eu l'honneur de clôturer le concert rennais, c'est assez logiquement La dernière chanson qui mettra fin aux débats. Quasi absent pendant ce quart d'heure final (à part un Sylvain JOASSON caressant ses cymbales, comme s'il égrainait le temps qui nous sépare de cette nouvelle petite mort), le groupe laisse Pascal BOUAZIZ évacuer sa nostalgie et faire défiler les vingt cinq ans d'une carrière aussi impeccable qu'atypique. Survivant très bien à l'absence de piano, La dernière chanson nous fait dans ses derniers instants l'impression d'un encéphalogramme tentant désespérément de ne pas devenir plat. Malgré l'issue courue d'avance, cela n'empêche pas MENDELSON de se lancer dans un dernier assaut sonore, à peine arrivé qu'il laisse la place au grande vide.

Pas mécontent d'avoir pu assister à deux prestations à la fois similaire et antinomiques, on repartira chancelant dans la nuit lyonnaise après ces deux heures hautement intenses et riches en émotions, parfois contradictoires. Et toujours cette impression d'avoir assisté aux derniers instants d'un groupe monstre, car complètement hors-normes.

Comme pour prolonger la magie de ce concert, Pascal BOUAZIZ est revenu à l'Opéra de Lyon le lendemain matin pour un entretien rétrospectif, lui permettant également de présenter son « disque du siècle », le Dondestan de Robert WYATT.

MENDELSON se produira le 5 juin au festival Yeah à Lourmarin (84). Si vous souhaitez croiser le groupe sur scène, il sera peut-être trop tard après...
 

Eric F.

(27 mai 2022)

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Pour prolonger...

MENDELSON : Bandcamp
MENDELSON : site web
Ici, d'Ailleurs : site web
MENDELSON : Scanner en concert à L'Archipel, Paris (12/12/2009)

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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #754 (08/12/2021)

Dans nos archives écrites :
Je ne veux pas (voir MENDELSON) mourir, par Eric F. (11/12/2021)
Ça n'est pas une façon de se dire au revoir,
          interview de Pascal BOUAZIZ par Éric F. (14/01/222)
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Photographies : Eric F.
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